Interview : la location de fichiers e-mails, mode d’emploi

Publié par Gaelle dans Gestion & Qualité des Data 16 novembre 2011 Temps de lecture : 7 min

État du marché de la location de fichiers d’adresses e-mails et impact du modèle à la performance, recommandations pour s’assurer de la qualité d’un loueur, conseils pratiques pour se lancer dans la location de base de données et en éviter les écueils… Renaud Chavanne, fondateur de la société Data Factory spécialisée dans la location de fichiers en B2B, répond à nos questions et clarifie ce monde auquel est confronté nombre d’annonceurs, notamment pour mener des actions de prospection par e-mail.

Renaud Chavanne, fondateur de Data Factory

[EMM-Actu] Pouvez-vous nous faire un état des lieux du marché de location d’adresses e-mails à l’heure actuelle ?

[Renaud Chavanne] Le constat est simple : les chiffres de notre marché sont en baisse. A mes yeux, cette décroissance peut être attribuée à deux grands phénomènes. Tout d’abord, le contexte de crise que nous traversons actuellement. Dans une telle situation, les entreprises se tournent naturellement vers la réduction des coûts, cherchant à rationaliser leurs investissements et donc à réduire et à repositionner les budgets communication. Elles ont donc logiquement privilégié les actions de fidélisation au détriment de la prospection. Le deuxième phénomène, à savoir l’application de modèles économiques à la performance au marché de la prospection par e-mail, était moins prévisible. Beaucoup plus pervers, il a tendance à remettre en cause les fondements même de l’activité de prospection par e-mail.

La performance consiste pour l’annonceur à ne payer une action de communication qu’en fonction de sa réussite, laquelle peut être mesurée en fonction de différents critères : les clics (on parle de coût par clic ou CPA), les contacts enregistrés (coût par lead ou CPL), les achats générés suite à la campagne, etc. Le modèle à la performance s’est véritablement développé avec Google qui a imaginé le puissant système des liens sponsorisés. Il s’est depuis généralisé à de nombreux autres canaux du marketing online..

C’est un modèle très attractif pour l’annonceur, qui paye uniquement la réaction directe de la cible au message et non la partie affichage du message. Ce principe est compréhensible dans le cas des liens sponsorisés pour lesquels la composante visuelle ou graphique est réduite, mais va à l’encontre de l’e-mail marketing où le support joue un rôle important. Pour le dire autrement, le modèle à la performance considère que l’exposition au message ne compte pas – elle n’est pas valorisée. Seule la réaction au message compte. Or, on sait que c’est souvent la réitération des expositions à un message dans des environnements différents qui provoque la réaction, d’où le succès rencontré par les campagnes multicanales. Le marketing à la performance appliqué à l’e-mail est donc pervers car il ne rémunère pas décemment les propriétaires de bases. Un simple calcul montre que ce système divise les prix par 10, ce qui explique en grande partie la perte de valeur de notre marché durant la crise..

Mais il y a pire. Car outre la chute des prix, le modèle à la performance appliqué au canal e-mail provoque des comportements préjudiciables à l’ensemble du marché. Sachant que seuls les messages entraînant une réaction sont rémunérés, les acteurs de la performance ont tendance à multiplier les envois sur les cibles les plus larges possibles pour augmenter au maximum leur chiffre d’affaires. Ce comportement est totalement impossible dans un marché fondé sur le CPM, c’est-à-dire sur des modèles économiques au volume d’envoi et s’avère de plus inapproprié au marché de l’e-mail marketing. En effet, on sait pertinemment et depuis longtemps que les campagnes e-mails doivent être judicieusement ciblées et dosées pour être efficaces..

Il faut voir les choses en face : le marché de la performance appliqué à l’e-mail est identique à celui du spam en termes de modèle économique et revient à dire : « tirons large, nous toucherons bien quelque chose ». On voit bien l’aspect pervers du modèle. Mon constat est négatif mais il y a de l’espoir. A mes yeux, ces comportements nés avec la crise ne lui survivront pas. D’ailleurs, si le marché de la location d’adresses e-mails B2C a très largement cédé aux sirènes de la performance, celui du B2B résiste plutôt bien. De plus, le marché va partiellement s’auto-réguler à mesure que les bons routeurs refuseront d’envoyer des campagnes sur des fichiers d’adresses e-mails low cost qui sont de très mauvaise tenue et qui provoquent des blacklistages, l’assimilation des expéditeurs à des spammeurs et la destruction de la réputation technique des expéditeurs. Le mouvement est déjà en marche.

Comment s’assurer de la qualité d’un loueur de fichiers et quelles sont les questions à poser pour un annonceur lorsqu’il souhaite louer un fichier ?

Parallèlement au développement du modèle à la performance s’est installé un marché de la location d’adresses e-mails à deux vitesses et l’on peut constater aujourd’hui des écarts tarifaires incroyables. Certaines offres atteignent des planchers comparables aux offres de « spam mail » diffusées sur Internet. Ainsi, on peut avoir en low cost 100 000 adresses e-mails pour 100€ alors que les prix classiques de la location de fichiers en BtoB s’établissent plutôt à 300€ pour 1000 e-mails en location..

La question clé pour l’annonceur est dès lors de savoir comment bien choisir le fichier d’adresses e-mails à louer. Louer un fichier low-cost ne coûte certes rien, mais cela est inutile si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Cela est même souvent contre-productif car ces actions peuvent provoquer un classement de l’annonceur comme spammeur et pénaliser fortement la délivrabilité de ses messages. Cela engage aussi son image de marque, tant du côté des clients que des partenaires ou des fournisseurs et peut lever un doute sur le sérieux de l’entreprise..

L’annonceur qui s’interroge sur le choix de son fournisseur de fichiers d’adresses e-mails doit se souvenir que les principales différences qui séparent un fichier low-cost d’un fichier plus haut de gamme résident dans la qualité et la rareté de l’adresse e-mail et de son usage. La comparaison des prix est donc déjà un premier indice de qualité. Des prix très attractifs et trop alléchants doivent mettre la puce à l’oreille. Constituer un fichier légalement et l’entretenir sont des opérations onéreuses et un propriétaire de fichiers sérieux doit engager des investissements qui ne permettent pas une location à un prix bradé. Un prix trop bas est souvent le signe d’un fichier de piètre qualité, collecté de manière inconnue, mal qualifié et non mis à jour. Même si par un heureux hasard ce fichier est de qualité, il est probable que sa politique tarifaire basse l’amène à le louer à de multiples reprises, sur-sollicitant ainsi les contacts. Cela aura pour effet d’obtenir de très faibles performances de campagnes et de provoquer des réactions fortement négatives de la cible..

La toute première question à poser à un loueur d’adresses e-mails concerne la provenance du fichier, la méthode de collecte. C’est LA question primordiale. Il faut savoir être prudent, ne pas se contenter de réponses toutes faites et floues du type « Les adresses e-mails que l’on vous propose ont été collectées via un formulaire en ligne ». Mais concrètement, sur quel site Internet ont-elles été collectées ? Dans quel contexte et quel but ? Si l’on répond « le fichier provient d’une loterie multi-annonceurs menée récemment », on doit alors questionner sur l’objet et l’objectif de la loterie. Si le fichier est constitué « de contacts ayant cliqué sur une bannière », il faut s’interroger sur ce que promeut la publicité, quel annonceur est à l’origine de la bannière, l’orientation et la tonalité de cette publicité, etc. Il faut pouvoir vérifier par soi-même le réel processus d’enregistrement et s’assurer entre autres que les individus ont clairement accepté de transmettre leurs coordonnées à des tiers..

S’informer de la provenance, consulter le site et le formulaire de collecte permet aussi de vérifier si le fichier est en adéquation avec les objectifs fixés. Un fichier peut être globalement de qualité mais inadéquat pour l’usage que l’on souhaite en faire. Par exemple, pour toucher des acheteurs en ligne, le fichier d’adresses e-mails d’un webmarchand peut s’avérer intéressant. Mais pour vendre un produit financier, il est peu pertinent de récupérer les contacts des membres et donneurs d’une association caritative..

Au-delà de l’origine de la collecte, il est également nécessaire d’interroger le loueur sur la date de cette collecte et la fréquence de mise à jour des données, sur le niveau et les critères de qualification des contacts, sur les performances ainsi que le nombre de désabonnements, de plaintes et de bounces qui ont pu être observés sur ce fichier et enfin, très important, sur la pression commerciale qui est déjà portée sur ces mêmes contacts. En effet, plus ces internautes sont sollicités simultanément par de multiples annonceurs, moins ils seront réactifs.

Enfin, quels sont les points de vigilance et les conseils que vous pourriez fournir à nos lecteurs ?

Je donnerai trois principaux conseils aux annonceurs qui souhaitent se tourner vers la location d’adresses e-mails :

1 : Parler avec son routeur de campagnes e-mails et lui demander conseil sur tel ou tel fournisseur, ou sur la qualité d’un fichier. Un prestataire d’e-mail marketing ne connait pas forcement les objectifs que s’est fixé un annonceur – comme expliqué précédemment, une base de contacts peut être de bonne qualité mais inadéquate pour la campagne que ce dernier s’est fixée – mais un bon routeur connait la qualité des bases de données, celles qui sont incorrectes voire à proscrire impérativement, ainsi que le marché et ses acteurs..

2 : Tester, tester et tester. Il faut observer, essayer, comparer et vérifier. Cela permet de se constituer une expertise propre. Il ne suffit pas de trouver la perle rare, le fichier dont les performances sont excellentes. La véritable clé en prospection est de disposer de plusieurs fichiers de bonne et très bonne qualité et d’identifier ceux à éviter par-dessus tout. On peut alors faire tourner les fichiers, s’en servir à tour de rôle afin de ne pas toujours utiliser le meilleur et porter une pression trop forte sur les mêmes contacts. Une surexploitation risque en effet d’user définitivement la base et les contacts ne réagiront plus aux offres reçues..

3 : Toujours conserver la juste mesure entre ses exigences de qualité (le ciblage) et de quantité (le volume retenu in fine) en prospection. Les envois de messages e-mails commerciaux fonctionnent davantage quand ils sont ciblés, c’est une certitude. Mais si les envois sont trop ciblés, les volumes risquent d’être plus faibles et les retours peuvent dès lors être insuffisants pour assurer un bon retour sur investissement. En prospection B2B, on compte en moyenne 15% de taux d’ouverture unique et 1,5% de clic unique – ces chiffres sont par contre plus faibles en B2C. Mais attention, toute la question consiste à savoir combien de clics uniques sont nécessaires pour transformer un contact en client. S’il faut 10 clics, alors 1000 adresses e-mails louées peuvent apporter un client. Mais s’il faut 30 ou 40 clics, alors toute action effectuée auprès de 3000 à 4000 adresses e-mails n’aura statistiquement aucune chance de produire une transformation, si bon soit le ciblage. Bien sûr, tout ceci fonctionne différemment dans le cadre d’action de fidélisation où l’on tend au contraire vers du one to one.

Et pour conclure, j’ajouterai que si l’on veut absolument traiter un fichier de petit volume, alors mieux vaut utiliser un autre canal et prendre un bon commercial avec un téléphone.

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